Réflexions sur l’ignorance

L’ignorance est non seulement l’un des trois poisons qui nous enchaîne dans le samsara, mais une sorte de décalage entre notre perception de la réalité et la réalité elle-même. C’est dans tous les cas une cause de souffrance. L’ignorance est la croyance d’un objet ou d’un phénomène qui existe de façon intrinsèque ou de son propre côté. S’il existait un objet ou un phénomène existant intrinsèquement ou de son propre côté, cela signifierait que celui-ci n’aurait pas été créé par l’esprit. Cette ignorance est appelée l’ignorance de saisie d’un soi. Or, Bouddha nous enseigne que tout est une création de l’esprit et dans ce sens rien n’existe de manière intrinsèque. Pour renforcer la compréhension de cette affirmation, voici l’exemple d’un sèche-cheveux. C’est de fait une création de l’esprit, qui impute le nom « sèche-cheveux » à cet appareil domestique. Mais si nous cherchons à saisir le sèche-cheveux, nous réalisons qu’en fait celui-ci est juste un Ignorance-01nom imputé sur une collection de parties, comme par exemple le boîtier, le corps de chauffe, le ventilateur, la poignée, l’interrupteur et ainsi de suite.

Aucun de ces éléments, qui constituent une base d’imputation valide du sèche-cheveux, n’est le sèche-cheveux lui-même. Arrivés à ce point de notre investigation, le sèche-cheveux que nous croyons exister de son propre côté a d’ores et déjà disparu puisque notre esprit perçoit maintenant une collection de parties qui ne sont pas le sèche-cheveux. En portant notre attention sur une partie que nous nommons « poignée », il devient évident que cette partie elle aussi est un nom imputé sur un ensemble de pièces constituantes qui ne sont pas la poignée elle-même. De la même manière, la poignée que nous croyions exister vraiment a disparu. Et nous pouvons continuer à faire successivement cette investigation avec tous les objets que nous pouvons identifier en imputant un nom valide et approprié et les éliminer successivement. Finalement, nous éliminons tous les objets que nous pouvons identifier, nommés correctement par notre esprit jusqu’au stade où nous nous posons la question : « Est-ce qu’il y a quelque chose qui reste, après avoir écarté tout ce qui a été créé par notre esprit? ».

Ignorance-02Ne trouvant rien qui reste, nous concluons qu’aucun objet, aucun phénomène n’existe de façon intrinsèque, n’existe de son propre côté. Car en faisant une telle analyse, nous aboutissons toujours à quelque chose qui est une création de notre esprit et qui confirme ce que Bouddha nous a enseigné. Notre ignorance qui croit qu’il y a un sèche-cheveux qui existe de son propre côté vient de notre confusion qui croit que l’objet et sa base d’imputation sont une même chose. Si nous nous référons à la sagesse, nous comprenons la distinction qui existe entre la base d’imputation et l’imputation elle-même. Lorsque nous croyons que les choses existent de leur propre côté, et que nous saisissons ces objets en tant que tels, nous créons un karma contaminé. Et lorsque nous créons un karma contaminé, nous créons notre propre samsara. Si nous éliminons l’ignorance, nous cessons de croire que les choses existent intrinsèquement, nous comprenons la vraie nature des choses et nous cessons de nous engager dans des actions qui entretiennent notre karma contaminé à l’origine de notre samsara.

L’ignorance maintient dans notre esprit la croyance que les objets, les phénomènes, les personnes que nous percevons existent de leur propre côté, séparés de nous, indépendamment de notre présence. Nous serions effectivement séparés de tout. Et ce que nous faisons ou pensons dans notre esprit n’aurait aucune incidence sur les autres. De la même manière, ce qui se passe dans l’esprit des autres n’aurait aucun impact sur notre esprit. Si notre ignorance nous fait croire que nous existons de la manière que nous nous percevons, nous pouvons faire uniquement l’expérience de ce qui se passe dans nos agrégats et renforcer notre préoccupation de soi, comme étant la seule réalité Ignorance-03que nous possédons. Parce que nous sommes à ce moment-là séparés des autres et réciproquement que les autres sont séparés de nous, il n’y a rien que nous puissions faire pour les autres. La seule expérience que nous faisons est l’expérience du « Je », du « Moi », « Le mien ». Mais si nous comprenons que nous ne sommes pas juste que ces agrégats contaminés, nous réalisons que notre corps, notre esprit, même notre « Je », notre « Moi », notre « Le mien » ne sont juste que des créations ou des imputations de notre esprit. Ce sont juste des apparences à notre esprit. Notre ignorance nous empêche de réaliser cela.

Compilé à partir de mes notes du Cours PF suivi au Centre Atisha de Genève en octobre 2005