Actuellement lorsque nous voyons les autres, par réflexe d’attachement, d’aversion ou d’ignorance nous les plaçons dans une de ces trois catégories : amis, ennemis, quelconques. De même pour les objets inanimés, nous utilisons des critères semblables. Dans un supermarché, nous dirons par rapport à un produit X : « J’aime! Je n’aime pas! Bof! ». Se comporter comme cela, c’est oublier que tout ce que nous percevons est créé par notre propre esprit. En fait, il n’y a pas de produit X, pas plus que d’amis, d’ennemis ou de gens quelconques. Nous pensons que notre esprit est le simple observateur et n’est nullement impliqué dans l’existence de ces objets et de ces personnes à l’extérieur de nous.
Or les critères appliqués proviennent de notre propre karma. Selon eux, nous imputons toute personne et tout objet dans l’une ou l’autre catégorie. Par ignorance de saisie du soi nous sommes convaincus de la présence de ces personnes et de ces objets tels qui nous apparaissent. Nous sommes persuadés qu’ils possèdent une vie et des propriétés indépendantes de nous. Lorsque nous réalisons ce que veut dire la vacuité, nous comprenons que rien ni personne n’existe de manière intrinsèque et que sont de simples fabrications de notre esprit. Le karma qui mûrit crée l’apparence du monde que nous percevons. C’est notre ignorance qui nous piège en nous faisant croire que les choses sont telles qu’elles nous apparaissent.
Lorsque nous rêvons, les personnages et les objets de notre rêve semblent complètement réalistes. Dans notre rêve, nous portons notre attention sur ce que nous expérimentons, et toujours par ignorance de saisie du soi, nous sommes convaincus de la pertinence de ce que nous vivons. À tel point que nous pouvons ressentir de fortes émotions agréables ou désagréables. L’enfant qui, durant la nuit fait un cauchemar, voit vraiment un dragon terrifiant dans son placard. Tellement convaincu de son existence, une fois réveillé, il aura des réticences d’aller vérifier s’il y a vraiment un dragon dans celui-ci. Ou encore, lorsque nous sommes au cinéma et assistons à la projection d’un film. Quand bien même que nous savons que c’est du cinéma, que c’est une projection, nous développons de la sympathie pour tel personnage, de l’aversion pour tel autre et de l’indifférence pour bon nombre de figurants. Pris par l’atmosphère induite par les images, nous allons vivre de réelles émotions. Dans toutes ces situations, l’esprit perturbé par l’ignorance demeure dans la confusion.
Dans les enseignements sur la vacuité, Vénérable Kelsang Gyatso propose à plusieurs endroits de contempler la vacuité du Je. Une de ces contemplations (*1) consiste à réfuter l’objet de négation qui aboutit à : « Je ne suis pas mon corps et je ne suis pas mon esprit, mais en dehors de mon corps et de mon esprit, il n’y a pas de Je. Je suis donc vide d’existence intrinsèque ». En contemplant ce genre de raisonnement, nous essayons de faire disparaître notre Je normal et de ne percevoir que la vacuité (*2). De la même manière, nous pouvons appliquer ce raisonnement à notre ami Jean. Lorsque nous cherchons Jean, juste en face de nous, nous arrivons à la même conclusion : Jean est vide d’existence intrinsèque. Il en va de même également si nous cherchons notre pire ennemi, nous ne le trouverons pas. Nous pouvons conclure que nous sommes tous vides d’existence intrinsèque, donc égaux et impossible à différentier. Par nature, tout le monde est également vide d’existence intrinsèque. Si nous cherchons les autres avec sagesse, nous trouverons uniquement leur vacuité. C’est notre esprit perturbé qui crée les différences, les discriminations, les amis, les ennemies et les personnes qui nous sont totalement indifférentes. En comprenant cela nous allons essayer de générer un sentiment d’équanimité envers tout le monde, car il n’y a aucune base valide de créer une préférence, une aversion ou une indifférence.
(*1) Le Nouveau Manuel de Méditation, Ghéshé Kelsang Gyatso, Ed. Tharpa (*2) Les Terres et les Voies Tantriques, du même auteur. Contenu de l’article inspiré d’un enseignement de Kadam Ryan, Centre Atisha, Nouvel-An 2007
C’est si vrai, et tant d’efforts, tous les jours, croire qu’il existe un monde inhérente,
à l’extérieur, nous percevons tout ce qui très déformée,
c’est ainsi que nous couvrons tout ce qui de l’ignorance